Le Caucase, interface entre la Russie et l’Iran (2/2) : les mutations récentes

Par Raphaël da Silva, doctorant à l’INALCO (CREE),

 

La chute de l’Union soviétique (URSS) en 1991 a constitué un tournant décisif pour les républiques du Caucase du Sud, leur permettant d’accéder à l’indépendance après des décennies de domination soviétique. La Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie deviennent des États souverains, mais ils doivent rapidement faire face à plusieurs défis. Dans la foulée de leur indépendance, ces États post-soviétiques sont d’abord confrontés à des conflits ethniques et territoriaux. L’Arménie et l’Azerbaïdjan s’affrontent dans une guerre pour le contrôle du Haut-Karabagh, une région peuplée majoritairement d’Arméniens mais située en territoire azerbaïdjanais. La Géorgie, quant à elle, est confrontée à des tensions séparatistes en Abkhazie et en Ossétie du Sud. La “transition” vers une économie de marché, tant attendue par les observateurs européens,  s’avère difficile, car ces pays dépendent encore largement de Moscou sur le plan économique mais aussi du point de vue des infrastructures, en particulier dans le domaine énergétique. Enfin, les systèmes politiques des États post-soviétiques de la région se sont révélés particulièrement instables après la chute de l’URSS :  conflits de pouvoir, coups d’État, violence politique, tuerie au parlement, révolutions,  la “transition” s’est avérée violente. Par exemple, en Géorgie, le président Zviad Gamsakhourdia, premier dirigeant élu démocratiquement, est renversé par un coup d’État armé en 1991, déclenchant une guerre civile contre ses partisans ; en Azerbaïdjan, le président Aboulfaz Eltchibeï est évincé en 1993 à la suite d’un coup d’État mené par Surat Huseynov, ouvrant la voie au retour d’Heydar Aliyev au pouvoir ; et en Arménie, la réélection controversée de Levon Ter-Petrossian en 1996 provoque des manifestations massives, et il est contraint de démissionner sous la pression de son propre gouvernement en 1998.En Arménie encore, l’attaque du parlement du 27 octobre 1999 -dont les auteurs ou les commanditaires n’ont jamais été clairement identifiés ni jugés- conduit à la mort du premier ministre Vazgen Sargsian et de sept autres personnalités politiques dont Karen Demirtchian, alors président de l’Assemblée.

Iran-Russie : de nouvelles dynamiques géopolitiques sur l’interface sud-caucasien

Avec la fin de l’URSS, le Caucase du Sud est redevenu une zone de compétition géopolitique. La Russie et l’Iran, chacun à sa manière, cherchent à remplir ce vide en réaffirmant leur influence. Ayant perdu son contrôle direct, la Russie continue cependant à considérer le Caucase du Sud comme une “zone d’influence traditionnelle”. Moscou se positionne en tant que garant de la stabilité, mais aussi comme une puissance susceptible de soutenir les factions pro-russes dans les conflits régionaux. Son objectif est de maintenir le Caucase du Sud dans son orbite et d’éviter que ces pays ne s’alignent sur des puissances occidentales comme les États-Unis ou l’Union européenne.

Avec la fin du contrôle soviétique, l’Iran voit quant à lui une opportunité de renforcer sa présence au Caucase du Sud, en rétablissant notamment des liens économiques et diplomatiques. Rapidement, l’Iran a établi des relations diplomatiques avec les nouveaux États indépendants, en particulier avec l’Arménie, avec laquelle il entretient une relation privilégiée en raison de leur frontière commune, de leur dépendance mutuelle mais aussi de relations historiques fondées sur l’existence en Iran d’une importante communauté arménienne.

Depuis 1991, la Russie a donc continué à exercer une influence militaire majeure dans le Caucase, intervenant dans les conflits régionaux pour protéger ses intérêts. En Abkhazie et Ossétie du Sud, deux territoires géorgiens ayant déclaré leur indépendance dans les années 1990 avec le soutien de Moscou, la guerre russo-géorgienne de 2008 marque une étape importante. La Russie reconnaît alors l’indépendance de ces régions, tout en y maintenant des troupes et une influence politique, restreignant ainsi la souveraineté de la Géorgie dans ses choix stratégiques.

Bien que la Russie maintienne nécessairement une position neutre dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le Haut-Karabagh, elle a des alliances de défense avec l’Arménie par l’intermédiaire de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). À la suite du conflit de 2020, la Russie a déployé des forces de maintien de la paix dans la région, consolidant son rôle de médiateur tout en conservant sa capacité à influencer les deux parties. Cependant, les troupes russes stationnées au Haut-Karabagh depuis l’automne 2020 ont achevé leur retrait d’Azerbaïdjan en juin 2024 après la guerre du Karabagh de septembre 2023 qui a entièrement vidé la région de sa population arménienne.

Par ailleurs,  Moscou a cherché  à conserver son influence sur les ressources et les infrastructures énergétiques du Caucase. Plusieurs oléoducs et gazoducs  traversent le Caucase pour transporter le pétrole et le gaz de la mer Caspienne vers l’Europe. La Russie voit ces infrastructures comme une source de revenus mais aussi comme un levier géopolitique, permettant de contrôler en partie les flux énergétiques en direction de l’Europe. Le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum (BTE), par exemple, qui contourne la Russie pour relier l’Azerbaïdjan à la Turquie, est perçu comme un défi à l’hégémonie russe dans le domaine énergétique. Le Caucase se trouvant sur une route commerciale clé entre l’Europe et l’Asie,  la Russie maintient autant qu’elle peut une présence militaire et politique lui assurant le contrôle  de ces couloirs commerciaux. Elle est également en concurrence avec des projets d’infrastructure soutenus par des acteurs externes, comme la Turquie et la Chine, qui cherchent à établir leurs propres routes de transport à travers la région. Par exemple, en mai 2024, un consortium chinois a été sélectionné pour la construction du port en eaux profondes à Anaklia (Géorgie). D’autre part, le Caucase du Nord, partie intégrante de la Fédération de Russie, est une région à la fois sensible et stratégique. En raison de l’instabilité chronique et des insurrections islamistes, cette région représente une menace pour la sécurité intérieure russe. Depuis les années 1990, des mouvements séparatistes et islamistes, notamment en Tchétchénie et au Daghestan, ont conduit à des conflits violents avec l’État russe. Bien que la Russie ait rétabli un certain contrôle, le risque de terrorisme et de radicalisation demeure élevé, ce qui amène Moscou à maintenir une forte présence sécuritaire dans la région. Pour éviter de nouvelles révoltes, la Russie finance massivement les infrastructures et les programmes de développement au Caucase du Nord, notamment en Tchétchénie. Par cette politique de “pacification”, Moscou cherche à gagner la loyauté des populations locales tout en dissuadant les actions séparatistes.

Et que se passe-t-il du côté de l’Iran ? Du fait de sa position géographique, l’Iran retrouve une zone d’influence  naturelle dans le Caucase du Sud, particulièrement avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan, États frontaliers de l’Iran.  Cette proximité se traduit par des échanges commerciaux, culturels et politiques. L’Iran et l’Arménie entretiennent des relations stables, renforcées par une certaine complémentarité. L’Arménie, enclavée et sous blocus de la Turquie et de l’Azerbaïdjan depuis la guerre du Karabagh (1988-1994), dépend de l’Iran pour son approvisionnement en gaz naturel et comme point d’accès à la route commerciale du sud.

Bien que l’Iran et l’Azerbaïdjan partagent des liens culturels et religieux – l’islam chiite y étant majoritaire –, leurs relations sont souvent tendues. La présence d’une importante minorité azérie en Iran (environ 20 à 30 millions de personnes en Azerbaïdjan iranien au nord du pays) est source de méfiance, l’Iran craignant que l’Azerbaïdjan alimente des aspirations séparatistes parmi ses citoyens d’origine azérie. De plus, l’alliance de l’Azerbaïdjan avec la Turquie, un rival régional de l’Iran, et sa coopération militaire avec Israël accentuent encore les tensions. Pourtant, malgré ces défis, l’Iran cherche à se positionner comme un partenaire commercial clé pour le Caucase du Sud. En particulier, Téhéran investit dans des projets d’infrastructures pour rester compétitif face aux influences russes et turques. L’Iran s’efforce de diversifier ses routes de transit pour le pétrole et le gaz, en concluant divers accords visant à s’intégrer aux réseaux énergétiques du Caucase. Par exemple, des pipelines reliant l’Iran à l’Arménie offrent à Téhéran une alternative stratégique pour limiter sa dépendance aux infrastructures énergétiques largement contrôlées par la Russie. L’Iran participe aussi de manière très active au projet de corridor de transport international Nord-Sud, qui vise à relier la Russie, l’Iran, et l’Inde en passant par le Caucase. Ce projet pourrait offrir une alternative aux routes maritimes traditionnelles et renforcer l’importance géopolitique de l’Iran dans le transit de marchandises.

Ainsi, le Caucase est un espace où se croisent les ambitions des puissances régionales. Si la Russie est restée dominante grâce à sa présence militaire et énergétique, l’Iran s’efforce de trouver sa place à travers des alliances et des projets d’infrastructures. Les conflits gelés, combinés à la rivalité entre ces acteurs, garantissent que cette région continuera à être au centre des enjeux géopolitiques mondiaux.

La “guerre des tubes” : enjeux de transport et de connectivité Nord-Sud sur l’interface sud-caucasien.

Le Caucase joue un rôle crucial dans le transport de ressources énergétiques et dans la connectivité entre la Russie, l’Iran, et au-delà, vers l’Europe et l’Asie. Ses oléoducs, gazoducs et couloirs de transport sont des éléments clés de la coopération, mais aussi de la compétition, entre Moscou et Téhéran. Les pipelines énergétiques du Caucase, qui transportent le pétrole et le gaz de la mer Caspienne vers l’Europe d’Est en Ouest, contournent en partie la Russie créant ainsi des enjeux d’influences économiques mais aussi politique. L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), inauguré en 2006, relie Bakou en Azerbaïdjan à Ceyhan en Turquie, en passant par la Géorgie. Il s’agit d’un des plus longs oléoducs du monde, et il permet de transporter le pétrole azerbaïdjanais vers les marchés mondiaux sans passer par la Russie. Le BTC réduit ainsi la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie et contribue à la diversification des routes d’exportation d’hydrocarbures. Bien que la Russie voit le BTC comme une voie concurrente, elle maintient un intérêt dans la stabilité de l’infrastructure régionale, car toute perturbation pourrait également affecter ses propres exportations. Le gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzurum (BTE), complémentaire de l’oléoduc BTC, a pour mission de transporter le gaz naturel azerbaïdjanais depuis les champs de la mer Caspienne jusqu’à la Géorgie et la Turquie. Ce corridor énergétique stratégique s’intègre au réseau gazier turc, permettant ainsi d’acheminer le gaz vers les marchés européens. En offrant une alternative aux routes contrôlées par la Russie, le BTE joue un rôle clé dans les efforts de l’Union européenne pour diversifier ses sources d’approvisionnement en énergie et réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe, renforçant ainsi la sécurité énergétique de la région.

A cet axe Est-Ouest, Moscou et Téhéran substituent un axe Nord-Sud. Le corridor de transport international Nord-Sud est un réseau multimodal destiné à relier la Russie, l’Iran et l’Inde en passant par l’Azerbaïdjan. Ce projet vise à faciliter le commerce et à réduire le temps de transport entre l’Inde et la Russie. Ce corridor permet à la Russie et à l’Iran de développer des routes commerciales alternatives à celles passant par les détroits turcs ou par l’Europe, rendant les échanges plus directs et moins coûteux. Ce corridor réduit également la dépendance des pays de la région à l’égard des voies commerciales occidentales, en offrant une alternative viable pour le commerce asiatique. Situé au centre du couloir, l’Azerbaïdjan sert de plaque tournante entre le nord et le sud. Le port de Bakou, modernisé et agrandi, joue un rôle clé dans ce couloir. Ce projet donne également à l’Azerbaïdjan une position renforcée dans la diplomatie régionale, en tant que médiateur possible entre la Russie et l’Iran, et lui permet de négocier des accords qui contribuent à son développement économique. Ainsi, la Russie et l’Iran collaborent à la construction de nouvelles infrastructures pour soutenir le corridor Nord-Sud. En particulier, ils travaillent sur le développement ferroviaire entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, avec des extensions prévues vers la Russie. Par exemple, le pont routier inauguré en décembre 2023 entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, à Astara, ainsi que le projet de ligne ferroviaire entre Racht et Astara, vise à finaliser ce corridor stratégique. Cette coopération reflète la volonté des deux pays de renforcer leur interdépendance tout en contrant l’influence de la Turquie et de l’Occident. L’Iran et l’Azerbaïdjan ont signé des accords pour partager des ressources énergétiques et relier leurs réseaux électriques. Bien que l’Azerbaïdjan se tourne de plus en plus vers la Turquie pour ses partenariats, la relation avec l’Iran reste cruciale pour sa sécurité énergétique, surtout pour les zones plus isolées.

https://jamestown.org/program/aras-corridor-provides-problems-and-solutions-for-connectivity-issues-in-south-caucasus/

L’interface sud-caucasien: entre “soft-power” et influences religieuses

Le Caucase est également un carrefour culturel, où les influences religieuses et ethniques se superposent. La Russie et l’Iran utilisent ces liens culturels comme leviers de « soft power » pour renforcer leur position et leur influence dans la région. L’Azerbaïdjan, seul pays à majorité chiite dans le Caucase avec environ 85 % de sa population affiliée à cette branche de l’islam, partage avec l’Iran une proximité culturelle fondée sur cette appartenance religieuse. Cependant, leurs relations sont souvent tendues en raison des enjeux politiques et identitaires. L’Iran tente d’exploiter cette communauté de foi comme levier d’influence en soutenant des institutions religieuses et culturelles chiites en Azerbaïdjan. Cette stratégie se heurte toutefois aux alliances stratégiques de Bakou avec la Turquie ainsi qu’à la présence d’une importante minorité azérie en Iran, source de fragilité pour Téhéran. En Géorgie, majoritairement chrétienne et orthodoxe, une minorité chiite est concentrée dans le sud du pays et maintient des liens religieux et culturels avec l’Iran. Ces interactions, parfois perçues comme une ingérence par Tbilissi, prennent un relief particulier dans le contexte de l’orientation jusqu’ici pro-occidentale de la Géorgie. Ainsi, qu’il s’agisse de l’Azerbaïdjan ou de la Géorgie, l’Iran use de son « soft power » pour renforcer son influence religieuse et culturelle tout en naviguant entre tensions diplomatiques et rivalités régionales.

Et la Russie ? Elle utilise bien sûr son influence religieuse auprès des orthodoxes géorgiens, mais aussi des apostoliques arméniens pour renforcer son soft power. Bien que la Géorgie ait souvent des tensions avec la Russie, notamment à cause des conflits en Abkhazie et en Ossétie du Sud, le lien religieux orthodoxe reste un facteur d’influence même si l’Église géorgienne a rétabli son autocéphalie.  L’Arménie, pays majoritairement chrétien apostolique, partage une relation historique avec l’Iran et la Russie, mais se distingue par son Église autocéphale qui a joué tout au long de son histoire, un rôle identitaire crucial. La Russie a souvent soutenu l’Arménie comme un rempart chrétien dans la région, contrebalançant les alliances musulmanes de l’Iran et de la Turquie. Le Caucase étant une région multi-ethnique, la coexistence entre chrétiens et musulmans est parfois source de tensions, mais elle offre aussi une occasion de dialogue inter-culturel. La Russie et l’Iran adoptent des approches prudentes pour soutenir leurs propres communautés religieuses, tout en cherchant à éviter les conflits inter-religieux qui pourraient déstabiliser la région.

Des tensions ethniques et religieuses sont néanmoins fréquentes dans le Caucase… et la Russie et l’Iran y réagissent de manière distincte selon leurs propres intérêts stratégiques et leur influence sur les différents groupes ethniques. La Russie est particulièrement concernée par les conflits inter-ethniques dans le Caucase du Nord, où des mouvements séparatistes et islamistes restent actifs. Pour stabiliser la région, elle investit dans des programmes de développement économique et de modernisation des infrastructures, tout en réprimant durablement les insurrections. Par exemple, en Tchétchénie, elle a adopté une politique de contrôle strict, tout en s’appuyant sur le Tchétchène Ramzan Kadyrov pour ramener la région dans la “verticale du pouvoir”. De son côté, l’Iran suit une stratégie prudente, cherchant à éviter les affrontements ethniques tout en maintenant une influence diplomatique discrète dans le Caucase. Sa politique vise à protéger les minorités chiites tout en coopérant avec les gouvernements locaux, notamment en Arménie, où il bénéficie de relations amicales.

Le Caucase comme interface entre les sphères russe et iranienne: des relations bilatérales à l’aune du triangle régional

Bien que la Russie et l’Iran partagent des intérêts communs dans le Caucase, notamment dans leur volonté de réduire l’influence occidentale, leurs ambitions divergent souvent. Leur relation dans la région est caractérisée par une coopération pragmatique mais aussi par des tensions. L’Azerbaïdjan est un bon exemple  de l’ambiguïté des relations entre la Russie et l’Iran dans le Caucase. La Russie reconnaît l’importance de l’Azerbaïdjan pour le transit énergétique et s’efforce de maintenir des liens économiques, en particulier dans le domaine pétrolier. Les entreprises russes participent à des projets énergétiques en Azerbaïdjan et collaborent dans des infrastructures pour faciliter le transit de pétrole et de gaz vers l’Europe et l’Asie centrale. La Russie profite aussi des pipelines azerbaïdjanais pour acheminer des ressources vers l’Europe sans dépendre des réseaux turcs. De son côté, l’Iran, bien qu’il partage une frontière et une population à majorité chiite avec l’Azerbaïdjan, entretient des relations complexes avec ce dernier. La présence d’une minorité importante azérie en Iran, estimée à environ 15 à 30 millions de personnes, suscite une certaine appréhension chez les autorités iraniennes, car des revendications séparatistes pourraient émerger. L’Azerbaïdjan, de son côté, se montre prudent vis-à-vis de l’Iran et cherche des alliances avec la Turquie et l’Occident, ce qui irrite Téhéran. Le renforcement des liens militaires entre l’Azerbaïdjan et Israël accentue cette méfiance, car l’Iran craint que l’Azerbaïdjan ne devienne une base d’influence israélienne à sa frontière nord. Ainsi, la relation irano-russe au Caucase évolue en fonction des dynamiques fluctuantes des relations trilatérales impliquant d’autres acteurs.

La Russie et l’Iran adoptent des approches distinctes envers l’Arménie et la Géorgie, qui tiennent à leurs intérêts respectifs. L’Arménie dépend fortement de la Russie pour sa sécurité, surtout depuis le conflit du Haut-Karabagh, et maintient également de bonnes relations avec l’Iran. La Russie soutient l’Arménie par une présence militaire et un partenariat économique, notamment en fournissant des armes et en exploitant des installations stratégiques sur le territoire arménien. L’Iran, de son côté, voit dans l’Arménie un partenaire stable et une voie d’accès économique au Caucase sans passer par les territoires azéris et turcs. Cette relation Iran-Arménie s’est renforcée en raison des tensions entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, l’Arménie offrant une alternative pour les échanges commerciaux iraniens. Jusque récemment, la Géorgie  cherchait à s’éloigner de l’influence russe en se tournant vers l’Occident pour assurer sa sécurité et favoriser son développement. Dans le même temps, l’Iran a tenté d’établir des liens économiques avec Tbilissi, mais ces efforts sont restés limités en raison de la politique pro-occidentale du pays et des sanctions internationales contre Téhéran. Cependant, la position géorgienne a évolué, notamment depuis l’adoption de la loi controversée sur les « agents étrangers » et la victoire du parti au pouvoir, Rêve géorgien, lors des élections législatives d’octobre 2024. Ces évolutions marquent un ralentissement, voire un arrêt, du processus d’intégration de la Géorgie, pourtant pays candidat, à l’Union européenne. Pendant ce temps, la Russie continue de maintenir une pression constante sur la Géorgie, exploitant les conflits en Abkhazie et en Ossétie du Sud comme instruments de déstabilisation et de dissuasion face à toute velléité d’adhésion à l’OTAN.

Enfin, un troisième acteur régional incontournable : la Turquie. Elle exerce une influence particulièrement forte en Azerbaïdjan et accroît ses relations avec la Géorgie, ce qui change les équilibres régionaux. La Turquie partage avec l’Azerbaïdjan des liens culturels, linguistiques et ethniques forts, renforcés par une coopération militaire croissante. Au cours de la deuxième guerre du Haut-Karabagh en 2020, le soutien militaire turc, avec les drones Bayraktar et des équipements modernes, a contribué de manière décisive à la victoire de l’Azerbaïdjan sur l’Arménie. Cette alliance consolide la position de la Turquie dans le Caucase, souvent au détriment des intérêts de la Russie et de l’Iran, qui perçoivent avec inquiétude l’influence croissante d’Ankara dans la région. La Turquie est l’un des principaux partenaires économiques de la Géorgie et soutient sa position pro-occidentale, notamment en faveur d’une intégration dans l’OTAN. Les investissements turcs dans les infrastructures géorgiennes, les échanges commerciaux, et la collaboration dans des projets énergétiques renforcent l’influence turque dans le pays. Cependant, cela ajoute de la complexité aux relations entre la Russie, l’Iran et la Géorgie !

De leur côté, les États-Unis et l’Union européenne cherchent à stabiliser le Caucase tout en limitant l’influence russe et iranienne dans la région, mais leurs approches varient et se confrontent à de nombreux obstacles. Les États-Unis ont développé une coopération militaire avec la Géorgie et soutiennent des projets énergétiques qui contournent la Russie, comme le pipeline BTC. Washington cherche à s’assurer que la Russie ne retrouve pas une influence complète dans cette région stratégique. L’Azerbaïdjan bénéficie d’un soutien américain conditionnel, particulièrement dans ses exportations de pétrole vers l’Europe, mais les liens avec Israël compliquent les relations avec l’Iran. Toutefois, les tensions avec l’Iran, notamment autour de l’accord nucléaire, réduisent les possibilités pour les États-Unis d’agir de manière diplomatique dans la région. L’Union européenne, quant à elle, poursuit une politique d’engagement pragmatique, surtout dans les domaines de l’énergie et des transports. Elle soutient le Partenariat oriental, une initiative qui vise à renforcer les liens économiques et politiques avec les pays du Caucase du Sud, et à encourager les réformes démocratiques, notamment en Géorgie. Toutefois, la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie limitait, avant la guerre menée par la Russie en Ukraine, l’influence de l’UE dans la région, et les divisions internes des États membres concernant les sanctions contre l’Iran compliquent  une action coordonnée.

Ainsi, le Caucase est le théâtre d’une rivalité complexe : la Russie et l’Iran tentent de coopérer face à l’Occident, mais leurs ambitions contradictoires, notamment autour de l’Azerbaïdjan, compliquent leurs relations. Dans le même temps, la Turquie et les puissances occidentales tentent de redessiner les équilibres régionaux, ajoutant de nouvelles tensions.

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Bibliographie sélective :

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